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Culture du bâti et durabilité : un lien pour l’avenir

La culture du bâti et la durabilité sont étroitement associées l’une à l’autre. Elles jouent toutes deux un rôle primordial dans l’aménagement de notre environnement construit. Dans cette édition de Fachwerk, nous nous proposons d’examiner l’apport concret du patrimoine culturel au développement durable.

Un monument historique caractérisé par sa longévité – L’auberge « Kreuz » à Worb (photo : Roland Juker).

Durabilité : voilà un terme qui est devenu omniprésent et imprègne notre quotidien comme jamais jusqu’ici. Les défis auxquels il faut faire face, comme le changement climatique, la raréfaction des ressources ou la régression de la biodiversité, montrent la nécessité de ménager notre planète. Et tout particulièrement pour ce qui concerne l’aménagement durable de notre environnement, il vaut la peine, à plusieurs égards, de jeter un regard sur notre culture du bâti.

Les bâtiments historiques ne sont pas seulement des témoins de notre passé. Ils sont aussi des exemples de pratiques qui ont fait la preuve de leur durabilité. Des réalisations fondées sur des conceptions éprouvées qui montrent comment il est possible d’aménager des bâtiments, des villes et des paysages, d’en faire usage et de les conserver tout en répondant aux exigences écologiques, sociales et économiques du développement durable.

En règle générale, les monuments historiques se caractérisent par leur longévité, et comme ils ont été conçus pour durer, ils sont réparables. Leur utilisation pendant des siècles aide à conserver l’énergie qui leur est liée et par là à réduire notre empreinte écologique. En outre, pour leur construction, on s’est servi traditionnellement de matériaux naturels et résistants, de provenance régionale. Et aujourd’hui encore, pour leur entretien, c’est à des entreprises locales que l’on fait appel, ce par quoi l’on ménage aussi de précieuses ressources et contribue à la protection de l’environnement.

En intégrant ces principes fondamentaux de la culture du bâti dans les processus actuels de planification et d’assainissement, nous aidons à rendre l’avenir plus durable.

Les divers aspects de la durabilité

La notion de « durabilité » (Nachhaltigkeit) a été utilisée pour la première fois au début du 18e siècle dans le langage de l’économie forestière. Elle exprime là le principe selon lequel il ne faut abattre que la quantité de bois qui pourra repousser selon la planification du reboisement. Depuis les années 1960, c’est avant tout en rapport avec des problèmes environnementaux qu’est formulée l’exigence de développement durable. Il s’agit de concevoir des stratégies, des modèles et des mesures destinés à prévenir les menaces pesant sur le milieu de vie.

La définition la plus couramment utilisée est celle que donne le « Rapport Brundtland », de 1987 : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »

S’est également établi le « triangle de la durabilité », soit la prise en compte, à valeur égale, des aspects écologiques, économiques et sociaux. Travailler de manière durable signifie ainsi laisser à nos enfants et nos petits-enfants un cadre écologique, social et économique intact. Il n’y a de durabilité possible qu’avec la prise en compte de tous ces trois aspects.

Les 17 objectifs de développement durable (UNDP United Nations Development Programme).

La déclaration de la Conférence de Rio de 1992 et l’« Agenda 21 », qui a fixé les lignes directrices du développement à l’échelle planétaire, constituent deux jalons politiques. La Suisse s’est engagée à mettre en œuvre l’« Agenda 2030 » des Nations Unies, avec ses dix-sept objectifs de développement durable (ODD). Ces objectifs couvrent tous les aspects de la durabilité. C’est sur cette base que le Conseil fédéral a défini, dans la « Stratégie pour le développement durable 2030 » les lignes directrices de sa politique en matière de durabilité (voir l’excursion, La durabilité : du Rapport Brundtland à l’Agenda 2030).

La conservation comme stratégie : la culture du bâti ménage les ressources

À l’échelle planétaire, la construction est la plus grande consommatrice de ressources. Les bâtiments produisent plus de la moitié du total des déchets et sont à l’origine de trente-cinq pour cent des émissions de CO2. Durant les dernières décennies, l’activité dans la branche du bâtiment s’est caractérisée surtout par des démolitions faisant place à des constructions nouvelles. De grandes surfaces de sol ont été recouvertes de constructions et imperméabilisées. Or tout cela est en opposition avec l’idée de durabilité. À l’inverse, l’assainissement et le développement des bâtiments existants est une nécessité qui s’impose toujours plus en raison de la diminution des surfaces constructibles.

Par comparaison avec une construction nouvelle, un assainissement permet d’économiser environ deux tiers de matériaux. Si l’on fait une analyse globale des matériaux de construction, des processus de production et des possibilités de recyclage, la rénovation et l’adaptation des bâtiments donnent un meilleur résultat que la démolition et reconstruction. Cela est vrai également pour le bilan énergétique, qui peut être considérablement amélioré dans les monuments historiques, où le montage d’installations solaires ou photovoltaïques est généralement possible (voir l’édition de 2023 de Fachwerk, consacrée au thème « monuments historiques et énergie »). La considération envers les bâtiments existants, leur conservation et leur développement constituent donc une stratégie durable et prometteuse.

Pour conserver les bâtiments existants, il est important de les adapter aux exigences actuelles : il faut de nouvelles possibilités d’utilisation, une amélioration du confort et une augmentation de l’efficacité énergétique. Mais les monuments historiques doivent pouvoir garder leur caractère unique. Ils offrent souvent une qualité d’habitat hors du commun et sont prédestinés à des solutions créatives non traditionnelles. En les réutilisant et en les développant, on transmet à la génération suivante une part de culture du bâti (voir les comptes rendus sur Schüpfen, Ziegelried, et Langenthal, Ofenhalle).

Des matériaux de construction naturels : bons pour l’environnement et pour la santé

Autrefois, le recours à des matériaux de construction naturels allait de soi. On pouvait prendre du bois dans sa propre forêt ou de la molasse dans une carrière proche, sans avoir à effectuer de longs transports. Les gens qui travaillaient sur les chantiers étaient des spécialistes. Aujourd’hui encore, leur savoir-faire est fondamental pour la remise en état de bâtiments historiques. Un assainissement ou une réparation selon les règles de l’art requièrent une bonne connaissance des techniques d’autrefois, et les matériaux employés sont toujours les mêmes. À la différence des matériaux composites modernes, les matériaux naturels sont faciles à mettre en œuvre, à retirer et à réparer. Les utiliser, c’est protéger l’environnement et ménager les ressources (voir aussi l’interview avec Marcel Hegg – Une architecture responsable : apologie de la construction durable). 

Recyclage / surcyclage : culture du bâti et économie circulaire

La substance bâtie d’origine est indissociable de la valeur particulière d’un monument historique. Son charme inimitable peut tenir à ses poutres de bois séculaires ou à son décor raffiné, qui emmagasinent l’histoire du bâtiment. C’est pourquoi ces éléments font l’objet des meilleurs soins possible, ils sont réparés et conservés. Cette qualité qui rend les bâtiments réparables est un aspect essentiel de l’économie circulaire. Celle-ci a pour but l’emploi rationnel des ressources et le maintien des matériaux le plus longtemps possible en usage. On produit ainsi moins de déchets et réduit la charge pesant sur l’environnement. Les réparations et le recyclage sont loin d’être une nouveauté dans les monuments historiques.

Le Service des monuments historiques gère un dépôt dans lequel sont conservés de nombreux éléments architecturaux provenant de bâtiments démolis, qui y sont recueillis et inventoriés systématiquement. Il s’agit donc d’une sorte de « magasin de pièces de rechange », lesquelles sont mises à disposition pour des bâtiments à assainir où elles ont leur place, et connaissent ainsi une seconde vie (voir aussi l’article sur la Conservation des monuments, circularité et dépôt d’éléments architecturaux).

Le site, témoin du développement urbain

Les sites construits, qu’ils soient villageois ou urbains, contribuent à la qualité et à l’identité de notre environnement. Les places publiques, les espaces verts, les infrastructures bien aménagées favorisent la cohésion, les échanges sociaux et la qualité de la vie de habitants. Nos villages et nos villes sont en pleine mutation. La densification et la reconversion permettent de freiner le mitage urbain et de préserver les terres agricoles et les paysages. Mais par là même, les sites construits méritant protection sont soumis à une pression croissante. Leur développement ne doit pas se faire au détriment de leurs qualités durables. Une culture du bâti de qualité, c’est-à-dire qui respecte le patrimoine culturel et l’intègre, est un facteur de préservation et de consolidation de l’identité régionale. Ces valeurs culturelles, parce qu’elles renforcent le lien entre l’être humain et le lieu, sont une composante essentielle de la durabilité. La manière dont nous aménageons notre environnement a une grande importance et sera le thème de l’édition 2025 de Fachwerk.

Le site construit de Schüpfen (photo : Adrian Stäheli, Service des monuments historiques).

Excursion – La durabilité : du Rapport Brundtland à l’Agenda 2030

Le Rapport Brundtland a été publié en 1987 par la Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (WCED). Ladite commission avait été fondée en 1983 par l’ancienne premier ministre norvégien Gro Harlem Brundtland, dont le nom est resté attaché au document. Le Rapport Brundtland a été une contribution décisive aux débats contemporains sur la durabilité, et souvent l’on considère même qu’il en a été à l’origine. C’est lui qui a introduit la notion de développement durable sous la forme actuellement répandue, qui le définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Depuis 2015, la politique de durabilité est menée dans le cadre de l’Agenda 2030 de l’ONU, qui fixe les « objectifs de développement durable » (ODD). Ces dix-sept objectifs sont à atteindre d’ici à 2030 et concernent l’ensemble du monde, autant les pays en voie de développement que les pays industrialisés. Ils envisagent une approche globale pour résoudre les grands problèmes que sont la pauvreté, la faim, les inégalités et le changement climatique.

En Suisse, c’est la Stratégie pour le développement durable (SDD 2023) qui définit les priorités nationales. Ces priorités se fondent sur le modèle traditionnel des trois piliers, modèle selon lequel il ne peut y avoir de développement durable que si l’environnement, l’économie et la société sont pris en compte simultanément et reconnus de même valeur. Conçue au sens large, la durabilité inclut comme facteur important la culture, et par conséquent aussi la culture du bâti. La culture permet et favorise en effet la durabilité écologique, économique et sociale. Elle joue un rôle essentiel pour l’environnement construit. La Stratégie Culture du bâti, stratégie interdépartementale de la Confédération pour l’encouragement de la culture du bâti, en tient compte. Elle reprend les objectifs de l’Agenda 2030 et de la Stratégie pour le développement durable, en les concrétisant dans le domaine de la culture du bâti.

« La culture, une dimension de la durabilité » est par ailleurs, dans le Message culture 2025–2028, un des six champs d’action qui servent de référence pour les orientations de la politique culturelle. Les autorités fédérales, dans leur politique culturelle, envisagent la construction et l’aménagement du territoire comme des actes culturels et s’engagent en faveur d’un développement de qualité pour l’environnement bâti. La politique culturelle de la Confédération renforce ainsi le rôle central de la culture dans le développement durable.

Dans le canton de Berne, c’est le programme gouvernemental 2023–2026 qui définit les fondements du développement durable. L’Office de la culture adopte la définition large de la durabilité donnée dans le Rapport Brundtland de 1987 et adhère aux objectifs de développement durable (ODD).
 

Bases et références

  • Agenda 2030 pour le développement durable

  • Stratégie pour le développement durable 2030

  • Stratégie Culture du bâti

  • Message culture 2025–2028

  • Bauteile wiederverwenden. Ein Kompendium zum zirkulären Bauen, Eva Stricker, Guido Brandi, Andreas Sonderegger, Marc Angst, Barbara Buser, Michel Massmünster, 2021.

  • Gegen Wegwerfarchitektur, Vittorio Magnago Lampugnani, 2023.

Texte : Équipe de redaction

Photos : Jacques Bélat, Martina Bischof/Kira Kulik, Ducksch Anliker AG, Ariel Huber, Bahoz Issa, Alexander Jaquemet, Roland Juker, André Maurer, Adrian Stäheli

Fachwerk 2024

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