Bätterkinden Landshutstrasse 21

Au fil des usages successifs et de l’évolution du goût des propriétaires, cette maison a connu des transformations qui en ont fait une combinaison de styles absolument sans exemple. Les nouveaux propriétaires l’ont maintenant soigneusement assainie et transformée.

Cette ferme du 18e siècle, construction à charpente à colonnes simples, typique du Mittelland, a été vendue en 1879 à Benedikt Fritz, maître plâtrier-peintre venu du Vorarlberg. Celui-ci installe alors son atelier dans l’ancienne étable, tandis que la grange abritera le commerce de tissus de sa femme Liselotte.

C’est en 1920 qu’a lieu la phase de transformation la plus marquante, au moment où Liselotte Fritz partage ses biens immobiliers entre ses descendants. Les trois fils reçoivent alors les deux maisons à l’Innere Schachenstrasse, où ils installent leur nouvel atelier de peinture en bâtiment et plâtrerie. La maison à la Landshutstrasse passe aux trois filles, Rosa, Mina et Frida. Celles-ci agrandissent le commerce de tissus de leur mère et en font un « magasin et maison de vente par correspondance de mercerie et bonneterie », profitant de l’occasion pour donner un cachet plus moderne à la maison. Accrochant immédiatement les regards, de nouvelles lucarnes-frontons ondulées sont créées sur les faces ouest et sud, tandis que les anciens tavillons de bois sont remplacés par des plaques de couverture brun cuivré de la firme Eternit Niederurnen SA. La maison doit aussi son aspect inédit aux fenêtres à fins croisillons, à la richesse du décor et aux peintures au pochoir. Le jardin est lui aussi réaménagé, enclos d’un nouveau mur et agrémenté d’objets en pierre artificielle : boules, vases, bassins.
La nouvelle forme créée, et en particulier le motif du fronton ondulé, courant sur les toits de chaume, trahit une influence de l’architecture réformatrice du nord de l’Allemagne. On est manifestement en présence de l’œuvre d’un architecte doué et bien formé. Plusieurs indices convergent vers la personne d’Ernst Bützberger (1879–1935), architecte de renom établi à Berthoud. On sait notamment, par des plans conservés, que c’est lui qui a transformé – dans le même style de l’architecture réformatrice – les deux maisons à l’Innere Schachenstrasse.

En 1968, après la mort des sœurs Fritz, la maison devient propriété de Leonardo Bezzola (1929–2018), photographe bernois renommé. L’intérieur est transformé dans un style moderne par l’architecte Theo Kuentz. Au rez-de-chaussée, la suppression des cloisons dans les chambres permet de créer un vaste séjour et salle à manger, moyennant la pose de deux colonnes métalliques pour soutenir le plafond. Une cheminée en tôle d’acier, création de Bernhard Luginbühl, ami de Bezzola, impose sa forte présence. L’ancien commerce de tissus devient l’atelier de photographie, tandis que l’ancienne étable sert à garer la vieille Talbot du propriétaire.

Après la mort de Leonardo Bezzola, la maison retrouve finalement une famille propriétaire en 2021, et c’est une chance. Dès le début, les nouveaux maîtres des lieux témoignent d’un grand intérêt, tant pour la riche histoire de la maison que pour la conservation de la substance bâtie ancienne, et l’utilisation qu’ils prévoient comme logement et lieu de travail est idéale. Des recherches sont faites dans les documents, des études sur les couleurs et la statique, qui servent de base à l’élaboration d’une stratégie d’assainissement et de transformation en douceur, en étroite collaboration avec le Service des monuments historiques. Le caractère unique de la maison tient à la succession des phases de transformation, qui doivent donc toutes être conservées.
La principale intervention touche l’ancienne cuisine à foyer ouvert. Une fois enlevé un plafond intermédiaire ajouté postérieurement à la construction d’origine, l’espace est à nouveau perceptible sur plusieurs niveaux. Un escalier moderne en acier relie l’étage et les nouvelles chambres à coucher dans le comble, qui à cet endroit est isolé.
La stabilisation de la structure porteuse s’est révélée particulièrement difficile. À la suite des premières transformations, le toit s’était en effet déformé et affaissé vers l’est. Une solution a été trouvée avec l’insertion de poutres et de colonnes d’acier et la création d’une nouvelle fondation en béton. Le nouvel escalier a lui aussi une fonction essentielle dans la statique du bâtiment. Les interventions témoignent du haut niveau de compétences des spécialistes engagés et du bon esprit de collaboration de toutes les personnes.

De 1968 à 2018, la maison à la Landshutstrasse a servi de logement et d’atelier à un photographe bernois de renom, Leonardo Bezzola, connu pour son important travail documentaire sur la vie artistique en Suisse. Grâce à son ami Bernhard Luginbühl, il avait fait la connaissance de nombreux artistes, tels Jean Tinguely, Eva Aeppli, Niki de Saint Phalle, Daniel Spoerri, Schang Hutter et Raffael Benazzi. Durant des dizaines d’années, il a fixé en images leur travail de création. L’œuvre de Bezzola comprend 260'000 prises de vue, dont environ 36'000 sur le travail artistique et la vie de Tinguely.
Habitant non loin de là, à Mötschwil, et parrain de la fille aînée de Bezzola, Bernhard Luginbühl était souvent invité à Bätterkinden. Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle figuraient parmi les hôtes occasionnels, venant surtout pour discuter de la publication de livres communs.
En 1987, Bezzola, dans l’exposition « Montages architecturaux », présente sa maison comme le point de départ d’une évolution créative. C’est l’architecture insolite de la maison qui lui a fourni l’inspiration. Dans ses images, Bezzola déplace la maison en d’autres endroits ou en modifie l’aspect. Mais il y a une constante : le toit avec son étonnante lucarne-fronton ondulée. Il réalise ainsi de nouvelles créations monumentales, grotesques, romantiques, bizarres ou futuristes. Avec ces montages, Leonardo Bezzola a élevé un monument artistique à la maison de la Landshutstrasse.